Accaparement des terres agricoles, qui dit vrai ?


Yannick Patelli
Alors que la Terre de chez nous, hebdomadaire agricole propriété de L’UPA titrait à la Une dans son édition du 9 octobre que la menace reste entière quant à l’accaparement des terres agricoles au Québec, La Vie Agricole, mensuel agricole privé, a présenté un dossier dans son numéro d’octobre qui démontre que l’acquisition des terres agricoles par des non-résidents et la spéculation foncière demeurent des phénomènes marginaux au Québec.

Quels sont donc les intérêts de L’UPA alors à persister dans l’idée que le danger existe ? Y-a-t-il une désinformation orchestrée ? Le gouvernement écoute-t-il tous les intervenants dans le domaine ? La journaliste de La Vie Agricole, Doris Langevin, écrivait en octobre dernier que les terres agricoles du Québec sont surtout la propriété des exploitants agricoles dans 84 % des cas alors qu’au Canada seulement 65 % des terres appartiennent aux agriculteurs. En France il ne reste plus que 30 % des agriculteurs propriétaires de leurs terres. Alors pourquoi dire que le Québec est en danger ? Des intérêts autres seraient-ils en jeu ?

Pour CIRANO, pas de réel problème
Le MAPAQ indique que seulement 0,4 % des propriétaires de terres agricoles au Québec ont leur adresse hors Québec et qu’ils ne détiennent que 0,2 % de la superficie totale des terres ! Où est alors l’envahissement des étrangers ? Pour Jean-Philippe Méloche, chercheur au CIRANO (Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations) et professeur à l’Institut d’urbanisme de l’Université de Montréal : “ Nous sommes loin de l’accaparement de nos terres agricoles !“. Selon l’étude du CIRANO, il y a bien un pourcentage de terres qui appartient à des non agriculteurs mais pas forcément étrangers (environ 14 %) et on estime ne pas observer plus de 2 % de spéculateurs financiers. L’économiste Méloche rappelle que tous les secteurs économiques souhaitent normalement de nouveaux capitaux et s’étonne alors du contre-courant qui semble se mettre en place en agriculture. Il déclarait en octobre dans le Bulletin Forum de l’Université de Montréal : “La valeur des fermes a tellement bondi au cours des dernières années que la relève n’arrive pas à les acquérir, faute de moyens. Mais des investisseurs pourraient les louer à des jeunes. Ça leur permettrait de commencer leur carrière.“

Des investisseurs québécois pour aider la relève
Il rejoint ainsi le concept du groupe d’investisseurs réunis dans l’organisation Partenaires Agricoles, présidée par Clément C.Gagnon. Pour M.Gagnon :“ Il y a 10 ans on comptait 10 000 agriculteurs de moins de 35 ans, maintenant c’est 4000“. Partenaires Agricoles rappelle que la dynamique démographique en milieu rural doit amener le Québec à innover dans ses façons de faire.

Il voit dans l’approche de son organisation une solution pour aider la relève agricole au Québec, qui n’a plus les moyens d’acheter des terres, en lui offrant que des investisseurs québécois prennent le relais en louant notamment des superficies cultivables aux jeunes agriculteurs dans leur début de carrière. Clément C.Gagnon insiste aussi sur le fait que l’augmentation de la population mondiale de 80 millions de personnes par année continuera d’avoir un impact majeur sur le prix des denrées alimentaires qui a bondi de 62 % en trois ans pour le blé et de 94 % pour le maïs. Combiné à des catastrophes naturelles plus fréquentes dans le monde en raison des changements climatiques, Partenaires Agricoles rappelle que le Québec doit rester dans la course de la production céréalière. D’autant plus que le réchauffement climatique donnera la chance au Québec et au Canada de produire possiblement deux fois par année d’ici une décennie. Alors pour Partenaires Agricoles, si les jeunes agriculteurs ne peuvent plus acheter seuls les terres il faut mettre en place de nouveaux mécanismes.

Guerre de chiffres
La Terre de Chez nous a publié le 9 octobre dernier l’avis de Robert Laplante, directeur général de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) : “ Le gouvernement Marois commettrait une erreur en ne prenant pas des mesures énergiques pour protéger les fermes familiales des spéculateurs terriens“. Dans le même numéro, l’économiste en chef de L’UPA, Charles-Félix Ross y déclare que 50 % des terres agricoles appartiennent à des non agriculteurs, en opposition donc avec l’étude de CIRANO. Il apparait clairement que certains groupes tiennent à la création d’un nouvel organisme gouvernemental de contrôle.

Faut-il que le gouvernement s’en mêle ?
L’UPA et ses analystes ont une autre vision de l’accaparement des terres que CIRANO ou Partenaires Agricoles. Suite aux consultations sur le projet de loi 46, les parlementaires qui siégeaient à la CAPERN (Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelle) semblaient majoritairement conscients du phénomène d’accaparement des terres selon La Terre de chez nous. A tel point que l’idée d’une SADAQ (Société d’aménagement et de développement agricole du Québec) dont l’objectif avoué serait de permettre aux producteurs actuels et à la relève d’avoir accès à des terres à prix “convenable“, fait son chemin au sein du gouvernement. Le 31 octobre dernier, le vice-premier ministre et ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, M. François Gendron, a annoncé que l’Assemblée nationale avait adopté le projet de loi no 46 qui permettra de mieux lutter contre l’accaparement des terres agricoles et de resserrer les règles déterminant l’accès aux terres agricoles par des non-résidents : « Ce nouveau texte de loi est un premier geste important pour protéger notre patrimoine foncier que constituent les terres agricoles. Nos lois doivent s’adapter à la réalité économique actuelle. Le gouvernement du Parti québécois a décidé d’agir maintenant et de ne pas attendre que le phénomène d’accaparement prenne de l’ampleur. C’est un geste responsable afin d’assurer la pérennité du territoire agricole québécois, conformément aux orientations de la Politique de souveraineté alimentaire », a indiqué le ministre.
Toutefois le député libéral Stéphane Billette d’Huntingdon, critique en matière d’agriculture, a soulevé au cours des dernières semaines qu’il a rencontré plusieurs agriculteurs qui s’interrogent sur le réel besoin de créer une structure gouvernementale telle que la SADAQ. En commission parlementaire le porte-parole de la CAQ, M. Donald Martel, député de Nicolet-Bécancour, a fait ressortir les liens entre L’IREC et L’UPA. “ Le fruit de la SADAQ, est-ce que ça fait suite à une demande de L’UPA ? Est-ce que c’est L’UPA qui vous a demandé d’étudier la problématique“, a-t-il demandé. M.Ross, économiste en chef de L’UPA siège aussi sur les conseils d’administration de L’IREC (qui a produit les rapports de la SADAQ) et de la Financière agricole du Québec.
Le débat sur l’accaparement des terres agricoles ne fait que commencer.

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