Une amende de 292,50 $ qui pourrait tout changer… même pour la gestion de l’offre

Le cas de Gérard Comeau fascine. La Cour suprême du Canada vient d’entendre sa cause dernièrement et le jugement sera rendu en 2018. Si le plaignant gagne sa cause, le secteur agroalimentaire risque de vivre des changements substantiels d’ici les prochaines années. 

En 2012, ce simple retraité de Tracadie au Nouveau-Brunswick avait acheté au Québec 344 bouteilles de bière, deux bouteilles de whisky et une bouteille de spiritueux. Ce geste semble anodin, mais dans les faits, il demeure illégal. Une loi créée il y a près d’un siècle au Nouveau-Brunswick limite à une seule bouteille de vin ou de spiritueux ou à 18 bouteilles de bière la quantité d’alcool qu’un consommateur peut acheter à l’extérieur de la province pour rapporter à la maison. Au pays, l’ensemble des provinces prévoit des lois semblables. Monsieur Comeau a donc décidé de contester sa contravention de 292,50 $ et la Cour provinciale lui a donné raison et a annulé sa contravention.

Plus tôt cette année, la Cour suprême acceptait d’entendre cette cause. L’argumentaire de l’avocat de la défense se basait sur l’inconstitutionnalité de la loi et sur le fait que les consommateurs avaient des droits. Pour la Couronne, des intervenants de l’ensemble des provinces ont paradé devant les juges afin d’émettre leurs inquiétudes quant à un jugement favorable à la cause du résident de Tracadie. Toutes les provinces, incluant le Québec, mentionnaient les conséquences énormes qu’entraînerait une décision favorable de la cause de monsieur Comeau.  

Bien sûr, le protectionnisme interprovincial existe au Canada. Le cas Comeau ne repose pas sur une notion de trafic interprovincial de produits alcooliques. Il va bien au-delà de cela. Un gain pour monsieur Comeau pourrait créer une brèche pour plusieurs filières qui jouissent présentement d’une certaine protection. Si la Cour suprême du Canada reconnaît que le fait d’acheter une quantité illimitée de produits alcooliques dans une autre province représente un droit constitutionnel, le secteur agroalimentaire vivra des bouleversements importants.

Certaines filières provinciales à travers le pays auront accès à un marché plus vaste. Les filières vinicoles de plus petites provinces telles que la Nouvelle-Écosse ou l’Ile-du-Prince-Édouard pourraient bénéficier largement d’une victoire Comeau. Celles du Québec pourraient aussi profiter du marché lucratif de l’Ontario, juste à côté.

Le système de la gestion de l’offre pourrait aussi subir le même sort.

Le secteur vinicole en sera affecté bien sûr, mais à long terme, le système de la gestion de l’offre pourrait aussi subir le même sort. Les fameux quotas de production du lait, des œufs et de la volaille pourraient aussi se retrouver dans la mire par une telle décision. Les quotas pour chacune des provinces se calculent selon la demande domestique. Par exemple, le Québec produit 40 % du lait canadien en raison d’une demande de lait industriel plus importante. La transformation laitière au Québec constitue un secteur imposant comparativement à d’autres endroits au Canada. Mettre fin au système de quotas provincial faciliterait la tâche pour d’autres provinces qui veulent développer une transformation plus importante. Un transfert de milliers d’emplois devient possible si les barrières interprovinciales tombent. 

La fin des forces monopolistiques provinciales ?

Libéraliser le marché domestique canadien est souhaitable pour la simple et bonne raison que l’on offrira désormais une chance aux petites filières des régions moins nanties de mieux contrôler leur destinée économique. Depuis des décennies, pour maintenir une égalité économique entre les provinces, le gouvernement fédéral s’obstine à maintenir le système de péréquation afin d’offrir une qualité de vie raisonnable aux Canadiens d’un peu partout. Ce système a toujours eu ses limites. En mettant fin aux forces monopolistiques provinciales, le Canada se doterait d’un mécanisme fort puissant, aidant les régions plus pauvres à s’enrichir autrement, par eux-mêmes, sans dépendre de la péréquation. Bref, l’intégration économique et la répartition de la richesse passent par un commerce domestique sans barrières. De plus, en alimentation, chaque région a quelque chose d’unique à offrir au reste du pays, alors il faudrait leur donner une chance. 

Pendant ce temps, à Ottawa, le gouvernement fédéral semble tout faire ces jours-ci pour démontrer que le Canada est fin prêt à établir un agenda de commerce international cohérent. Des visites répétées à Washington pour sauver l’Accord de libre-échange nord-américain, des séjours en Asie pour réanimer le Partenariat transpacifique, sans oublier le « flirt » éphémère avec les Chinois. Mais le commerce interne au Canada est déficient depuis des décennies. Pour une véritable cohérence, Ottawa doit songer à faire le ménage à la maison et laisser le commerce domestique faire son œuvre.  

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