Henri Lafontaine, une de mes connaissances en affaires dans le domaine de l’acier, m’a manifesté une certaine jalousie pour la gestion de l’offre, attirée par les aides gouvernementales multiples, le remboursement des taxes municipales, des prix toujours croissants, le manque de concurrence, des assurances d’affaires subventionnées, les prêts à des taux miraculeux, une business qui n’a jamais de ratés, un revenu stable, une complicité gouvernementale enviable et la possibilité de rembourser son investissement en quota bien longtemps avant l’âge de la retraite.
Je lui ai présenté une formule de gestion de l’offre pour l’acier modelée sur le lait.
Comme la gestion de l’offre est illégale au Canada et à l’étranger et est passible de prison, il faut donc convaincre les gouvernements de le permettre au moyen de législations multiples. Les fabricants d’acier au Canada devront s’entendre pour limiter leur fabrication afin de ne pas produire plus d’acier qu’il faut. Trop d’acier sur le marché empêcherait de maintenir des prix élevés, sinon il faudrait baisser ses prix.
Il faudra empêcher l’importation, donc fermer ses frontières pour tous les produits de l’acier, mais ce n’est pas conforme aux ententes internationales. Le truc est de charger des tarifs d’importations représentant deux à trois fois le prix de l’acier vendu ici. Grosse vente à faire auprès des gouvernements, car ce système irait à l’encontre de tout ce qui s’est fait légalement et moralement dans le monde depuis 40 ans. Attendez-vous à devoir défendre votre système tous les jours.
Toujours le même prix, que votre produit soit le meilleur ou le pire
Votre acier sera identique à celui de tous vos compétiteurs. Il sera toujours le même prix; que votre produit soit le meilleur ou le pire. Vous ne serez plus compétiteurs. Il y aura un seul organisme pour acheter tout ce que vous fabriquez. On vous dictera comment et quel montant fabriquer et quand augmenter la cadence, quand la ralentir.
Les méchantes langues appellent ça un monopole!
Il ne sera plus nécessaire de développer de bonnes relations avec vos clients ni de faire de la recherche pour améliorer votre produit. Vous démarquer sera inutile, car tout ce que vous allez produire fera partie d’un grand bassin d’acier fait par vous et par bien d’autres. Toute vente sera exclusivement la responsabilité de votre seul acheteur (les méchantes langues appellent ça un monopole). Votre business changera radicalement. Vous viendrez à vous voir comme employé de l’acheteur, on fera des réunions syndicales que vous accepterez et vous recevrez un chèque de paye avec déductions chaque mois.
Plusieurs classes et sous-classes
Votre acheteur élaborera un système de classes de prix de vente d’acier, non pas en fonction de la qualité ou de la spécificité du produit, mais en fonction de ce que le client ultime veut fabriquer avec votre produit. Il y aura plusieurs classes et sous-classes. Il y aura la machinerie industrielle comme classe de prix et le prix variera dépendant du type de machinerie. Il y aura un prix de l’acier pour tous produits sur roues comme classe 3 avec plusieurs sous-classes (3a, 3b, etc.), il y en aura une pour les avions, une pour les camions, une pour les autos, une pour les VTT et autres jouets de cet acabit. Toutes ces classes de prix pour le même acier. Il faudra payer des gouvernements pour faire des vérifications pour s’assurer que les déclarations d’utilisation sont dans les bonnes classes. Malheur à celui qui achètera de l’acier pour des avions et vendra la partie inutilisée aux fabricants de voitures sans le déclarer et vous payer la différence.
Une classe spéciale de prix qui varie en fonction du prix plus bas aux États-Unis
Les producteurs-transformateurs, qui comme Henri, fabriqueront des décorations sur le même terrain que son usine d’acier, auront à payer leur propre acier pour leurs produits plus cher à leur seul acheteur que l’argent qu’ils recevront de lui pour son utilisation.
Il y aura une classe 5 pour les fabricants de produits dont la composition comprendra moins de 50% d’acier comme les montres, les robots culinaires, certaines pelles, etc., car ces produits pourront entrer au Canada sans limites. Toutefois, pour protéger les fabricants canadiens qui ne pourraient être concurrentiels à cause du prix et pour ne pas perdre ce marché, on créera une classe spéciale de prix qui variera chaque mois en fonction du prix (plus bas) de l’acier aux États-Unis. À cause de la concurrence, cette classe rapportera aux producteurs peu d’argent et diminuera la moyenne de leur chèque de paye.
À l’intérieur des mêmes sous-classes, le client ultime paiera le même prix et le prix comprendra la livraison. Donc, acheter des millions de tonnes d’acier à quelques kilomètres d’une usine ou seulement 100 kilos par année pour faire des épingles à St Loinloin sera le même prix au kilo. Les livraisons d’acier s’étaleront également sur toute l’année. Ce sera la responsabilité des acheteurs d’organiser leur gestion, fabrication et marketing pour accommoder votre système. Si leur convention collective permet des congés dans le temps des fêtes vos clients devront la renégocier.
Des quotas qui empêchent le dynamisme
Les transformateurs d’acier (ex. GM) ne peuvent excéder leur quota hebdomadaire d’usine pour la réception d’acier à moins d’acheter le quota d’autres usines. Les louer temporairement, même si logique, est illégal. Ces quotas empêcheront vos clients dynamiques de croître rapidement ou de faire des promotions en saison. Par exemple, s’ils améliorent un camion-citerne et connaissent un succès monstre, ils devront déménager aux États-Unis pour avoir accès à de l’acier qui, en plus, sera moins cher. Pour ceux qui possèderont un très gros quota, même s’ils seront de piètres fabricants, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, leurs produits se vendront bien quand même, vu la limite de l’offre au Canada. Par contre, pour ceux qui achèteront de l’acier en classe 5, celle qui n’est pas payante, il n’y aura aucune limite d’approvisionnement.
Il y aura une exception : la classe 1. Pas de quota limite pour les voitures électriques, mais le prix de l’acier sera plus élevé et le prix de détail des voitures devra être approuvé annuellement par la Régie de l’acier et des marchés aciéricoles. Chaque année, il y aura une audience pour le prix de détail des autos électriques et les producteurs d’acier s’opposeront à chaque demande d’augmentation de prix de détail de leurs propres clients. Les aciéries pourront même financer subrepticement des organismes de pauvreté et de consommateurs pour venir s’opposer aux augmentations demandées par leurs clients.
Place à la publicité générique
Vous augmenterez votre prix de l’acier pour annoncer des produits que vous ne fabriquerez pas et ne connaissez pas. Ce sera de la publicité générique. Les fabricants d’acier annonceront les autos, avions et machinerie industrielle et des épingles. Ce seront les aciéries qui choisiront seules comment dépenser ce budget publicitaire pour annoncer les camions et autres et les clients ne sauront pas à l’avance quand une campagne publicitaire précise aura lieu, ni quel produit sera annoncé. Cet important budget de publicité (environ $100M) pourrait être le plus gros au pays. Il ne sera pas nécessaire d’avoir de recherches pour mesurer l’efficacité de ces campagnes publicitaires ni aucune forme d’imputabilité. Au début on fera de la publicité générique, mais la publicité de marque précise et même parfois conditionnelle dans certains cas arrivera et sèmera la méfiance et la peur d’inconvenances importantes chez tous les clients. Les gouvernements, en bons partenaires, n’imposeront aucune balise aux aciéries en leur conférant ces pouvoirs exceptionnels sur leurs clients.
Interdiction des sous-produits ?
Depuis peu, la technologie permet de récupérer des sous-produits de l’acier pour des camions et de le réintégrer à sa composition permettant une importante économie d’échelle, mais pour protéger votre revenu, les gouvernements promulgueront un règlement spécial et unique au monde interdisant d’utiliser cette nouvelle forme de composition. Officieusement, pas question d’intervenir si ces produits sont fabriqués à l’étranger.
Le ministère de la Santé promulguera des règlements pour interdire certaines fabrications jugées dangereuses comme les tape-culs trop rapides avec alliage en cuivre comme ceux de la compagnie « Parles-moi-z’en », mais ouvriront les portes toutes grandes pour leurs importations de peur de froisser les consommateurs qui adorent ces joujoux.
Maintenir un système intégral incompréhensible
Vous ferez du lobbying auprès des gouvernements pour maintenir « la gestion de l’offre intégrale», dans le but de maintenir le système intégralement tel que décrit, mais personne ne saura vraiment de quoi vous parlerez.
La révision des accords AECG, TPP et ACEUM affaiblira le marché. Les changements anticipés de ce système complexe seront minimes et trop éloignés pour y fonder de grands espoirs.
Finalement, mon ami Henri après mûre réflexion a trouvé le système bon en principe, mais très mal adapté à sa réalité. J’ai très bien compris son choix de devenir fonctionnaire.