Le paradoxe de la mer dans notre assiette c’est que les Québécois entretiennent une relation bizarre avec les produits de la mer. Selon les données de NielsenIQ, les consommateurs québécois achètent pour environ 334 millions de dollars de poissons et de fruits de mer par an sur un total de 865 millions pour l’ensemble du Canada. Autrement dit, les Québécois mangent 38 % des produits de la mer sur l’ensemble des poissons consommés au Canada. Comme les consommateurs québécois représentent à peine 21 % de la population canadienne, le résultat n’est pas si mal ! Cependant, plus de 95 % de ces produits sont importés.
Le poisson importé, une empreinte carbone imposante
Selon les plus récents résultats obtenus en 2019 par Sandra Gauthier d’Exploramer, le Québec exportait pour plus de 460 millions de dollars de produits de la pêche au gros, mais en importait pour 528 millions au cours de la même année. Imaginez l’empreinte carbone imposante laissée par une telle chaîne d’approvisionnement qui traverse le globe.
Nous mangeons ce que nous importons, et nous exportons ce que nous pêchons, voilà une stratégie diamétralement opposée à l’autonomie alimentaire. À part le homard et les crevettes, la plupart des produits offerts aux Québécois proviennent d’Asie. La même situation prévaut un peu partout au Canada, même dans les régions de l’Atlantique et du Pacifique. Au comptoir de la poissonnerie, contrairement à celui de la viande, il existe une réelle guerre des petits prix. Les épiciers offrent exactement ce que nous recherchons. Il s’agit d’une question d’habitude, voilà tout.
Les grands distributeurs, agents et courtiers font leurs affaires au méga Seafood Show à Boston en mars de chaque année. Sans se poser trop de questions sur la provenance des produits, ils négocient pour obtenir les meilleurs prix possibles. Ils savent que pour le consommateur, une visite au comptoir des viandes ou à la poissonnerie coûte cher. Alors ils misent sur le produit de milieu de gamme pour les Québécois et les Canadiens. Tandis que les produits haut de gamme québécois s’exportent ailleurs dans le monde. Un peu fou comme stratégie, mais il demeure bien difficile de blâmer les épiciers. Nous sommes ni plus ni moins les grands responsables de ce nivelage par le bas.
Mais la pandémie a suscité l’intérêt pour l’achat local et les épiciers le savent.
Nous avons su valoriser différents produits en épicerie, comme les fromages fins, l’huile d’olive et même le fameux Tomahawk. Les consommateurs consentent à payer le gros prix pour ces produits, mais se gardent une petite gêne à la poissonnerie. La valorisation des produits de la mer et du Saint-Laurent doit aller de pair avec la campagne à succès des Aliments du Québec. Cette responsabilité nous appartient à tous et pas seulement aux épiciers. Poser des questions et demander l’origine des poissons et fruits de mer feront leur petit bonhomme de chemin.
Il y a tout de même de belles petites victoires qui s’offrent aux consommateurs québécois qui veulent des poissons et crustacés québécois. La compagnie Fruits de mer du Québec, dirigée par deux entrepreneurs, Dary Côté et Denis Fortin, a su contourner le puissant système qui attire à peu près tout le monde au Sea Food Show à Boston. L’entreprise de Grande Vallée en Gaspésie se spécialise dans la vente de produits locaux par le biais de comptoirs mobiles en bois très identifiables. L’entreprise gère presque 400 comptoirs à travers le Québec et fera son entrée en Ontario dans les prochains mois. Les produits offerts au comptoir des fruits de mer du Québec sont à peu près les mêmes qu’ailleurs. Une belle initiative qui a créé 65 emplois et génère près de 9 millions de dollars de vente annuellement. Mais il faut en faire plus et la tâche revient aux consommateurs de poser des questions sur les origines de nos poissons et fruits de mer.
Surtout, en achetant d’un fournisseur local, la traçabilité devient moins préoccupante. Les cas de fraude dans le poisson et les fruits de mer se comptent par centaines. Toutefois, en réduisant l’ampleur des chaînes d’approvisionnement, les occasions de fraude seront nettement réduites. Si les prix vous effrayent un peu, au moins vous savez exactement ce que vous achetez et mangez.
Sur la photo, Sylvain Charlebois au Café Krieghoff sur la rue Cartier à Québec début juillet lors de son passage aux studios de La Vie agricole.