Notre « Run de lait »

Depuis une semaine, le Théâtre Trident à Québec présente une pièce documentaire frappante sur la filière laitière québécoise. Justin Laramée, connu pour ses rôles dans Mommy de Xavier Dolan et dans le film Aurore, interprète une pièce de théâtre traitant du secteur agroalimentaire?! Olivier Normand et Justin Laramée en assurent la mise en scène. Cette performance éblouissante livrée par Laramée démontre son habileté à se synchroniser de manière exceptionnelle avec le son, les accessoires et les lumières. Un décor à la fois simple et efficace entoure le comédien pendant qu’il offre à son auditoire une leçon sur l’avenir du secteur laitier au Québec.

Justin Laramée, accompagné du docteur en musique Benoît Côté, nous dévoile un parcours garni d’émotions, mais surtout rempli de détails très personnels des agriculteurs qui ont voulu participer à son enquête qui a commencé en 2016. Pendant la pièce, il explique au public les étapes de son enquête qui regroupe des producteurs, transformateurs, politiciens ainsi que des personnalités influentes du domaine agroalimentaire. Visiblement, l’intention première de Laramée voulait comprendre l’état actuel d’une filière si importante pour le Québec, malgré un système de la gestion de l’offre prétendument sans faille.

La pièce aborde des sujets variés, notamment la détresse psychologique et le suicide de certains agriculteurs, les préoccupations entourant le bien-être animal et bien sûr, le scandale du lait diafiltré que le Québec a connu il y a quelques années. Des protéines laitières étaient alors importées illégalement des États-Unis par les transformateurs, incluant Agropur, une coopérative appartenant à des milliers d’agriculteurs laitiers québécois. Une période humiliante pour le secteur et surtout pour Agropur.

De tous les transformateurs, seule la coopérative Agropur a accepté de rencontrer Laramée lors de la collecte de renseignements pour son projet. Les élus ont aussi été conviés pour raconter ce qu’ils savaient. Cependant, les autres transformateurs, distributeurs et détaillants jouent malheureusement un rôle relativement effacé dans la pièce.

Ce que Run de lait nous offre comme leçon est fort simple. Le système de la gestion l’offre conçu dans le but de sauver le secteur laitier canadien est dans les faits en train de le tuer. Le secteur traverse une crise sérieuse et le constat de cette œuvre dramatique est clair. La pièce met brillamment l’accent sur certains aspects de la gestion de l’offre que même plusieurs protagonistes de l’industrie comprennent mal, notamment des élus, des transformateurs et même des producteurs. Il ne faut donc pas se surprendre si le public ne comprend pas bien le fonctionnement de ce système mal aimé par plusieurs.

En écoutant Laramée, on s’imagine toutefois que le régime de la gestion de l’offre et ses problèmes n’existent qu’au Québec. La gestion de l’offre demeure avant tout un système fédéral, et certains défis rencontrés par des agriculteurs d’ailleurs au pays sont vraisemblablement pires qu’au Québec. Le contenu de la pièce manquait un peu d’envergure sur ce volet. Mais le public étant principalement québécois, il devient facile de sympathiser avec les choix de l’artiste pour son texte.

Laramée se donne à fond sur scène. Humour, tristesse, rage, déception, histoires personnelles et familiales durant la pandémie se succèdent à bon rythme. Run de lait nous offre la performance d’un artiste qui a voulu s’investir sans compromis dans sa quête pour mieux comprendre les enjeux d’un domaine qu’il connaissait à peine avant 2016. L’équipe de production de Run de lait offre un véritable cadeau à l’industrie laitière. Ce secteur se dirige vers un cul-de-sac et le dialogue devient plus important que jamais. C’est d’ailleurs le dernier message que la pièce nous livre à la toute fin, et Laramée a raison. Run de lait nous rappelle que l’agriculture appartient à tous les citoyens, et non seulement aux agriculteurs. Il nous revient à tous de mieux comprendre la réalité de l’ensemble du secteur pour mieux outiller nos cultivateurs et transformateurs de chez nous.

Des représentations de cette pièce se donnent jusqu’au 26 mars à Québec. Très peu de pièces de théâtre se consacrent au secteur agroalimentaire, et celle-ci en vaut vraiment la peine. Si vous connaissez peu les rouages du secteur laitier, ou même de l’agriculture, cette pièce saura vous éclairer sur la réalité des agriculteurs, leur détresse et leurs défis jusqu’ici méconnus.

 

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