Par Guy Debailleul, coprésident de l’Institut Jean-Garon et ancien vice-doyen de la Faculté d’Agriculture de l’Université Laval.
« On devrait construire les villes à la campagne, l’air y est plus pur ». Cette expression attribuée à Alphonse Allais au XIXe siècle était celle d’un humoriste, qui ne cherchait aucunement à être pris au sérieux.
Elle semble pourtant prise au sérieux dans un document publié par l’IEDM dont l’auteur propose tout simplement de résoudre la crise du logement à Laval par une conversion de son territoire agricole en logements : par une simple règle de trois, il calcule que cette conversion de 70 km2 permettrait de loger 181000 habitants de plus dans des logements à prix plus abordables. Et pour lui, le cas de la ville de Laval est juste un exemple.
Si c’est juste un exemple, on serait tenté d’extrapoler le calcul simpliste de l’auteur à l’ensemble des terres en culture du Québec dont la conversion au développement domiciliaire permettrait d’accueillir quelque 25 millions d’habitants supplémentaires à l’échelle du Québec … mais ne permettrait plus d’en nourrir un seul!
L’auteur de ce document n’hésite pas à affirmer : « L’augmentation de la superficie des terres agricoles, qui limite l’espace disponible pour la construction de logements, est particulièrement importante dans les zones à proximité des grandes municipalités, où la demande est forte et l’offre limitée. » Ainsi, en renversant complètement la présentation des tendances réelles, ce n’est pas le territoire agricole qui voit son existence menacée par l’extension urbaine, c’est, selon l’auteur, l’extension du territoire agricole qui menace le développement urbain!
Il est tout à fait compréhensible que ces propositions soient taxées « d’irréfléchies et farfelues » par la vice-présidente de l’UPA de la région Outaouais-Laurentides, Audrey Lemaire.
Si la crise du logement est réelle dans plusieurs municipalités, il est tout à fait erroné de l’attribuer à la présence trop importante du territoire agricole. Cette affirmation va d’ailleurs à l’encontre de la vision développée de plus en plus par les communautés urbaines qui voient dans leur territoire agricole un patrimoine à protéger.
Il est frappant de constater que The Economist, un journal économique aussi marqué par une idéologie néo-libérale que l’IEDM, avait déjà fait une proposition identique il y a sept ans en proposant de convertir la ceinture verte de Londres au développement domiciliaire pour résoudre la crise du logement.
À l’heure où, après une année de consultations sur le devenir de la protection du territoire agricole, le gouvernement s’apprête à publier les conclusions qu’il tire de ces multiples échanges, on doit souhaiter qu’il écarte résolument de ses projets des propositions aussi fantaisistes que celles proposées par l’IEDM.