Alors que l’ex-président américain vise un retour à la Maison-Blanche, La Vie agricole a demandé à Marc Dion ancien sous-ministre au MAPAQ d’analyser les impacts d’un éventuel come-back de Donald Trump sur l’agriculture au Canada. Vous pouvez aussi voir l’émission ZONE AGRICOLE sur Vidéotron pour les abonnés ou sur www.matv.ca
La Vie agricole : Alors que les grands dossiers de la campagne électorale américaine traitent peu de l’agriculture, vous considérez que l’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche risque de jouer de vilains tours à l’agriculture et à l’industrie agroalimentaire du Québec.
Marc Dion : «Historiquement les démocrates sont plus protectionnistes que les républicains. Donald Trump a été le président qui a imposé le plus de taxes à l’importation au cours du dernier siècle. Cependant, le démocrate Joe Biden est celui qui les a maintenus. Ceci étant dit, les démocrates sont plus prévisibles, plus parlables, plus respectueux des institutions et de leurs partenaires. Donald Trump est imprévisible. Trump déclare qu’il veut imposer des taxes à l’importation de 10 à 20% sur un très grand nombre de produits. Ce n’est pas pour rien que plusieurs ministres du gouvernement du Canada a tenu un blitz auprès de plus de 30 gouverneurs et d’autres politiciens américains au cours du mois d’août pour parler de nos relations commerciales. L’ensemble de nos ventes aux États-Unis, soit plus de 8G$, est en cause et les É.-U. sont de loin le principal client de notre industrie agroalimentaire. C’est à la lecture de ce qu’on nomme Le Projet 2025 que j’ai constaté que si les propositions qu’on y trouve sont mises en oeuvre, notre industrie agricole et agroalimentaire pourrait connaître une période d’incertitude économique résultant de la remise en question potentielle de l’OMC et de l’ACUSM (Accord Canada, États-Unis, Mexique).»
La Vie agricole : Vous mentionnez Le Projet 2025, de quoi s’agit-il?
Marc Dion : «C’est un document substantiel d’environ 900 pages produit par un groupe de réflexion (Heritage Fondation) rédigé par d’influents républicains qui se situent à la droite de l’échiquier politique et qui sont très favorables à Donald Trump. Il s’agit d’une véritable feuille de route qui traite de l’ensemble des activités du gouvernement des É-U et qui entend préparer l’entrée de Donald Trump à la Maison-Blanche. Plusieurs propositions figurant dans ce document, notamment celles dans le chapitre sur le commerce pourraient heurter notre industrie agroalimentaire et être mises en oeuvre à la suite de l’élection.»
La Vie agricole : Donald Trump n’a-t-il pas pris ses distances avec Le Projet 2025?
Marc Dion : «Certainement, cependant plusieurs observateurs considèrent que c’est là une manoeuvre politique. Le Projet 2025 est non seulement le travail de ses partisans, mais de certains de ses anciens conseillers influents. Plusieurs déclarations de Donald Trump sont dans l’esprit du Projet 2025. Il dit lui-même qu’il entend imposer des taxes à l’importation entre 10 et 20% sur l’ensemble des produits pour financer le déficit et ses promesses de rabais d’impôt.Ses propos sont parfois incohérents, mais on constate qu’il s’associe avec des personnes qui ont des propos inquiétants qui tendent vers les extrêmes. »
La Vie agricole : Nous savons que les républicains sont généralement en faveur de la réduction de la taille de l’État. Est-ce qu’on entend réduire les interventions du ministère de l’Agriculture (USDA)?
Marc Dion : «Concernant le USDA on exprime une bonne intention. On propose de favoriser un secteur plus productif en éliminant les programmes et réglementations qui sont vus comme des barrières et qui freinent la production agricole. Cependant, dans les faits, on veut abolir les programmes d’aide financière et les réglementations concernant le développement durable, les changements climatiques et même l’agriculture biologique. Dans le cas de l’agriculture, c’est comme ça qu’on entend réduire les interventions de l’État. Ces propositions anti-environnementales remettent en question les pratiques ou les façons de faire en agriculture depuis les deux dernières décennies. C’est une attaque frontale contre la lutte aux changements climatiques et l’approche environnementale en agriculture. Les É.-U. sont identifiés comme un des plus grands pollueurs du monde, s’ils arrêtent de combattre les changements climatiques, c’est aussi l’agriculture de chez nous qui en payera le prix.»
La Vie agricole : Certaines propositions du chapitre sur le commerce seraient-elles dommageables pour notre secteur agroalimentaire?
Marc Dion : «Dans la section rédigée par un ancien conseiller de Donald Trump, Peter Navarro, celui-ci se prononce ouvertement contre ACEUM. Navarro propose d’élever toute une série de tarifs douaniers. L’agroalimentaire du Québec risquerait de ne pas être épargné. Une autre section du chapitre sur le commerce se veut plus libre-échangiste, mais elle s’attaque directement aux principes fondateurs de l’OMC. Ce n’est pas plus rassurant notamment pour les protections de la gestion de l’offre. Si on laisse tomber en tout ou en partie l’OMC, qu’advient-il des articles de cet accord qui nous permet de gérer notre système de gestion de l’offre?? On propose même de créer un nouvel accord international pour les pays démocratiques. Ces hypothèses soulèvent de nombreux inconnus pour le commerce de nos produits agroalimentaires. »
La Vie agricole : La situation est sérieuse, car les États-Unis n’enregistrent-ils pas un important déficit commercial avec le Canada?
Marc Dion : «Exactement, les É.-U. enregistrent un déficit commercial de l’ordre de 70 G$ (2022) avec le Canada. Tant les républicains que les démocrates veulent redresser leur déficit commercial. C’est vrai non seulement avec le Canada, mais avec de nombreux pays, notamment la Chine (plus de 400 G$). Ici, ça devient une affaire stratégique. (Chaînes d’approvisionnement). Soulignons enfin que les régions agricoles et rurales votent généralement pour les républicains. »
La Vie agricole : Vous nous dites de nous intéresser davantage à la politique américaine.
Marc Dion : «Je crois que nous ne sommes pas préparés à affronter la tempête politique et économique qui pourrait résulter de l’élection de DonaldTrump à la Maison-Blanche. Ce n’est pas seulement l’affaire des gouvernements, mais aussi celle des entreprises. Nous n’y avons pas réfléchi encore. Tout cela demeure hypothétique jusqu’à l’élection. La politique internationale c’est comme le football, il est préférable de connaître les tactiques du quart-arrière de l’équipe adverse si l’on entend gagner le Super Bowl. »