Les bibittes dans nos assiettes

Le géant de l’alimentation Loblaw-Provigo a décidé de vendre de la poudre de grillons à l’échelle du pays. Un paquet de 113 grammes se vend presque 16 dollars, plutôt cher, étant donné que la production de grillons ne coûte pas grand-chose. Ne vous surprenez pas de voir le produit en réclame d’ici quelque temps ! Mais la décision de Loblaw de vendre de la poudre de grillons sous sa marque précieuse Le Choix du Président n’a rien d’anodin.

Bien sûr, 80 % de la planète mange des insectes quotidiennement. En Occident cependant, l’idée de consommer des insectes dérange et répugne. Mais de façon délibérée ou non, nous consommons déjà des insectes, plus qu’on ne le pense. Une panoplie d’études en salubrité des aliments démontrent que l’infiltration d’insectes dans notre chaîne alimentaire représente un phénomène fréquent. La perfection de la salubrité de nos aliments reste un idéal, tout simplement. De plus, d’autres recherches nous indiquent qu’en moyenne l’humain avale huit bibittes de toutes sortes dans sa vie, durant son sommeil. Mais bien sûr accepter que les insectes fassent partie intégrante de notre industrie alimentaire constitue une tout autre histoire.

Avec cette décision, Loblaw-Provigo évalue et tente sans doute de mesurer la curiosité des consommateurs au-delà de l’aspect dégoûtant que les insectes représentent. Loblaw évalue surtout à quel point le grillon peut devenir une source crédible de protéine pour l’ensemble de la chaîne alimentaire.

Ce n’est plus un secret maintenant, plusieurs factions remettent en question notre relation avec la protéine animale. Santé Canada s’apprête à nous présenter un nouveau guide alimentaire canadien qui se démarquera des éditions précédentes. Le régulateur public encouragera fort probablement les Canadiens à consommer moins de viandes et de produits laitiers.

Les préoccupations se regroupent en trois catégories distinctes. D’abord, les études qui prescrivent que la production animale hypothèque notre environnement ne cessent de se succéder. Les groupes industriels s’opposent évidemment aux résultats de ces études, mais l’image des filières interpellées change au fil des ans. Le bien-être animal inquiète également. L’industrialisation de l’agriculture dérange et se manifeste par un nombre grandissant de consommateurs qui s’interrogent sur les pratiques dans les parcs d’engraissement, les abattoirs et les fermes laitières. Chaque année, une vidéo de voyous qui heurtent des animaux innocents ressort et fait les manchettes. Le dernier argument, celui de l’aspect « santé », rend mal à l’aise une démographie canadienne vieillissante. Ces trois principales raisons suffisent pour inciter la population à considérer des alternatives.  

Évidemment, nous ne troquerons pas notre steak, notre rôti de porc ou nos ailes de poulet pour des insectes de sitôt. Ces produits font partie de notre quotidien et le resteront pour encore longtemps. Mais l’industrie des ingrédients s’intéresse non seulement à la valeur nutritive des insectes, mais aux coûts de production archi-avantageux. Deux cuillères à soupe et demie contiennent 90 calories, 13 gammes de protéines et une quantité impressionnante de vitamine B12. L’Université d’Oxford publiait une étude comparant la valeur nutritive des grillons avec la trifecta des viandes, soit le bœuf, le poulet et le porc. Les résultats probants procurent un net avantage aux grillons.

De plus, l’efficacité des grillons en production s’ignore difficilement. Les grillons se reproduisent rapidement et prennent très peu d’espace. L’empreinte environnementale de la production de grillons est significativement inférieure à celle du poulet, du bœuf et du porc. Selon une étude publiée en décembre dans la revue Global Food Security, les ratios calories et protéines versus les ressources requises pour leurs productions sont impressionnants. Le traitement éthique animal n’influe pas non plus cette production puisque ces insectes vivent une mort naturelle.

Bref, la protéine animale est sous pression et Loblaw fait pratiquement de la répartition de risques en évaluant le potentiel des grillons comme un ingrédient alimentaire. Qu’on le veuille ou non, il y aura de plus en plus d’insectes dans nos assiettes, mais la progression se fera lentement. Après tout, les régulateurs publics eux aussi devront se faire à l’idée qu’il y a d’autres façons d’offrir des protéines aux consommateurs, mais cela risque de prendre du temps.

 

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