Le beurre canadien est bel et bien plus dur, et l’ajout de suppléments palmitiques dans la nourriture pour les vaches à la ferme en est vraisemblablement l’une des causes. Même si l’industrie laitière et certains experts l’ont nié pendant des semaines, les Canadiens ne l’ont pas imaginé.
En se basant sur une fiche signalétique des gouvernements canadiens et américains qui fixe à 26 % la concentration normale d’acide palmitique dans le beurre, les universités Dalhousie et Guelph ont récemment effectué des tests sur 51 échantillons de beurre au Canada qui permettent d’estimer que les beurres canadiens contiennent aujourd’hui plus d’acide palmitique qu’en 2016. La moyenne est d’environ 35 %, et elle frôle les 40 % pour certains beurres, ce qui est un bond énorme. Plus important encore, la corrélation entre la fermeté du beurre et la présence d’acide palmitique est indéniable (0,80). Les échantillons provenaient de l’Atlantique, du Québec, de l’Ontario et de l’Ouest canadien. Et plus la concentration d’acide palmitique augmentait dans un échantillon, plus la corrélation était forte. Les résultats, quant à eux, sont sensiblement les mêmes au Québec.
« Le beurre est bel et bien plus dur au Canada, et l’huile de palme est l’un des facteurs responsables, que l’industrie et certains experts veulent l’admettre ou non. » dit Sylvain Charlebois
Même une étude de Jensen publiée en 2002 indiquait que la moyenne se situait à 24 % à l’époque. Bien sûr, ce sont des données américaines, mais ce genre de données n’existe tout simplement pas au Canada. Le Buttergate est vraiment dû au manque cruel de données. Les résultats des tests effectués par les universités Guelph et Dalhousie sont les premiers à être rendus publics au Canada. Autrement dit, l’industrie laitière a failli à la tâche de bien mesurer les conséquences des pratiques à la ferme sur la qualité des produits laitiers vendus directement aux consommateurs.
Les résultats confirment la théorie de David Christensen datant de l’année 2018 et celles de plusieurs chercheurs qui ont publié dans le Journal of Dairy Science depuis l’année 2013. En tentant désespérément de protéger son image, l’industrie laitière a tout simplement choisi d’ignorer une grande partie de la littérature afin d’appuyer l’argument qu’il n’y avait aucun problème.
La culture dans la filière laitière est telle que personne ne voulait reconnaître que quelque chose n’allait pas. Et encore aujourd’hui, malgré les résultats, certains normalisent l’utilisation de l’huile de palme provenant de l’autre bout du monde dans une industrie qui prône l’importance de l’achat local. Cette culture, bien sûr, est basée sur une science et une éthique récusables.
L’Université Laval, qui a l’habitude de se faire l’apôtre des plans conjoints, n’a jamais manqué sa chance de défendre les pratiques actuelles des secteurs sous gestion de l’offre. Les bailleurs de fonds pour les travaux de plusieurs chercheurs, dont Daniel Mercier-Gouin et Maurice Doyon, sont les producteurs assujettis qui exercent des activités dans ces filières. Et le modus operandi est toujours le même : accusations de désinformation en déformant les faits et en souhaitant que personne ne vérifie ce qu’ils disent dans les médias. Gouin et Doyon l’ont fait à maintes reprises, et personne ne remet en question leur manque de rigueur. Une approche malhonnête. Pour le Buttergate, le même scénario s’est répété, mais cette fois-ci, c’est Rachel Gervais, une chercheuse en nutrition animale dont les travaux sont lourdement financés par le secteur laitier, qui a adopté la même stratégie.
Non seulement a-t-elle cité dans plusieurs entrevues l’étude de Jensen qui suggère un pourcentage de 24 %, mais les 35 % qu’elle mentionne à outrance pour normaliser les résultats de Guelph et Dalhousie ne sont qu’une estimation, sans test, publiée par Kaylegian et Lindsay dans un livre de référence en 1995.
Pour la gestion de l’offre, de façon générale, l’Université Laval fait preuve d’une corruption intellectuelle déconcertante depuis fort longtemps. Aucune déclaration de conflit d’intérêt, jamais, et les chercheurs disent à peu près n’importe quoi sans vérification.
Et pour en rajouter, plusieurs de ces suppléments qui rendent notre beurre dur sont vendus par des agronomes membres de l’Ordre des agronomes du Québec, qui doivent adhérer à un code d’éthique clair. Plusieurs ont décidé de défendre cette pratique sans démontrer un quelconque intérêt pour la littérature qui suppose qu’une corrélation entre les suppléments d’acide palmitique et la dureté du beurre est tout à fait possible.
À la lumière du Buttergate, Louis Robert est déjà mûr pour écrire un deuxième livre.
Sylvain Charlebois
Directeur Principal – Laboratoire de Sciences analytiques en agroalimentaire
Université Dalhousie