Nombreux sont les témoignages qui nous parviennent depuis des années tentant de démontrer que le monde agricole est sclérosé parce que depuis des décennies «le ministère de l’Agriculture n’ose pas mettre le poing sur la table et brasser la cage». Si le ministre actuel est plein de bonnes intentions notamment en termes de visions d’avenir relativement enlignées sur le rapport Pronovost, il arrive peut-être dix ans trop tard pour remettre les choses en perspective. Et pire encore, il n’a peut-être pas encore un GO clair de son premier ministre à tous les niveaux pour faire valoir son leadership.
D’un bord Louis Robert, l’agronome exclu du MAPAQ puis réintégré avec «tapis rouge» et excuses du ministre de l’Agriculture et du Premier ministre, sort un livre et gifle à peu près tout sur son passage : le ministre, le MAPAQ, l’Ordre des agronomes et L’UPA mais quasi tous reconnaissent sa persévérance et sa lucidité. Même le président de l’UPA, Marcel Groleau qui écrit dans La terre de chez nous du 5 mai dernier : « Le débat va se poursuivre. L’État doit jouer son rôle de défenseur de l’intérêt public».
Mais quel débat ? Ce président de la principale organisation agricole au Québec refuse de participer aux entrevues proposées par notre média depuis des années. Il est à la tête d’une organisation qui ne défend pas le citoyen/consommateur (et ce n’est certes pas son rôle) alors veut-il que l’État protège le public des excès de sa propre organisation ? Je ne comprends pas bien !
Je n’aimerai pas lire de telles lignes signées du président de l’UPA si j’étais ministre de l’Agriculture. M. Lamontagne est suffisamment intelligent pour avoir compris comme bien des politiciens que le principal obstacle sur son chemin pour moderniser l’agriculture c’est justement cette organisation qui n’a eu cesse de protéger un modèle unique en agriculture.
L’UPA qui demande au MAPAQ de prendre soin de l’intérêt public ! N’est-ce pas l’hôpital qui se fout de la charité lorsque l’organisation qui a pris un contrôle excessif en agriculture demande lui-même au gouvernement de se réveiller.
L’UPA protège fort bien les intérêts des producteurs (du moins pour ceux qui se reconnaissent en lui ) ce qui est sa mission. N’oublions pas que Louis Robert, s’il a en partie raison comme tout le monde le dit ces temps-ci, explique dans son livre que la critique qu’il fait de la situation actuelle est aussi redevable à l’UPA.
Rappelons simplement ce que disait Jean Garon dans ses mémoires en 2013 en page 522 : « Le MAPAQ n’a jamais cessé de perdre de son importance. Il n’est plus l’ombre que de lui-même pour se mesurer au fédéral et à l’UPA, qui réalise enfin son vieux rêve de «mener dans le champ». On me dit que l’UPA a maintenant plus de conseillers de terrain que le ministère, grâce notamment au financement fédéral qui transite de plus en plus par des organismes à but non lucratif contrôlés par l’UPA (…) Mais plus personne ne joue désormais son rôle, le ministère le premier». Et page 187 : « n’oublions jamais que l’UPA a manifesté au milieu des années 1980 pour que le gouvernement du Québec ( … ) assure la production intégrée au même titre que la production familiale indépendante».
On peut pour les plus optimistes espérer un réveil des consciences puisque la pandémie a mis dans la bouche du président du syndicat unique des mots nouveaux : autonomie alimentaire, souveraineté, cultures fourragères etc… Mais on peut douter…
Jean Garon est mort, il y a bientôt 7 ans. Il aurait été intéressant de l’entendre commenter la situation actuelle.
Mais le débat ce n’est pas non plus la tasse de thé pour les universitaires qui se terrent dans le silence. Sylvain Charlebois, certes qui ne donne jamais dans la dentelle, a pondu une nouvelle chronique sur le Buttergate parue dans nos colonnes et d’autres médias où il critique clairement l’Université Laval et plusieurs de ses professeurs. Invités par notre média à donner leur réponse et leur vision, ou bien ils ont décliné d’office ou bien après avoir accepté ils se sont désistés.
Depuis que La Vie agricole et LVATV ont repris le chemin de leur existence c’est-à-dire des débats vifs et éclairés, plusieurs se font plus petits. Il est bien dommage au Québec alors que les débats sur le lait, sur les semences et les pesticides sont nécessaires et d’utilité publique, que nous soyons obligés une fois de plus de ne pas entendre toutes les parties.
Si certains médias ont propension à ne donner la parole qu’à certains acteurs nous tentons d’ouvrir grand la boite à idées. Merci à ceux qui ont osé s’exprimer ces derniers temps sur LVATV et dans La Vie agricole.
Faut déconfessionnaliser l’agriculture au Québec. Cesser de craindre l’UPA comme si c’était dieu. Les gouvernements doivent arrêter de se prosterner devant le président de l’UPA, en l’invitant à toutes les tables de discussions-négociations touchant l’agroalimentaire comme s’ils avaient besoin de la bénédiction de l’évêque de l’UPA pour agir. Les gouvernements doivent se sentir -et être- imputables des tords et abus qu’a fait l’UPA au monde agricole du Québec depuis 50 ans. En 2022, la fameuse et malsaine loi de 1972 aura 50 ans, tout comme l’UPA, qui par cette loi s’est permis de se faire l’empereur de toutes les terres agricoles du Québec, et d’inféoder à peu près tout ce qui touche l’agroalimentaire au Québec. Les tentacules et influences de l’UPA sont devenues si nombreuses et sournoises, qu’une commission d’enquête nous sera nécessaire pour comprendre, porter des accusations et nous exorciser de l’UPA. En 2022 je rêve qu’on fête la sortie de l’UPA du grand corps agricole du Québec, et de la loi de 1972. D’ici là, que ce débat continue, et à bas la crainte de l’UPA.
Claude Fortin