Le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) a commandé une étude prospective pour la filière porcine au Québec à la firme Raymond Chabot Grant Thornton, le 14 mai dernier le rapport était disponible. Ce rapport trace un portrait intéressant de la filière, avec des données et des commentaires surprenants. On y retrouve une analyse des effets du soutien gouvernemental sur la filière porcine, plus principalement via l’ASRA. Le rapport mentionne que ce soutien a été largement critiqué par plusieurs lors des entrevues, un des constats de l’étude est que l’intégration verticale de la production a été accentuée par l’ASRA.
Intégration encore plus grande si on tient compte du PORC COOP!
Dans cette étude l’on apprend qu’en 2022, il y avait 649 entreprises qui produisaient du porc, excluant les forfaitaires. De 2009 à 2022, le nombre d’adhérents à l’ASRA a diminué de moitié et le nombre de porcs produits par adhérent a plus que doublé. L’intégration de la production s’est largement poursuivie, la part des petites et moyennes entreprises propriétaires de leur porc est passée (en nombre de porcs) de 54% en 2012 à 35% en 2022. L’intégration est probablement plus grande si l’on avait tenu compte des porcs propriétés des PME mais qui doivent suivre un cahier de charge, tel le porc COOP.
Concentration encore plus grande dans l’abattage
Au niveau de l’abattage, la concentration est encore plus grande, il reste 6 organisations qui sont dans l’abattage du porc, Olymel détient près des trois quarts du marché total en se basant sur le volume de porcs abattus. Depuis 2004 Olymel, par acquisition principalement, est passé de 50% à 70% de capacité d’abattage, suscitant de l’inquiétude sur la compétitivité de la filière durant les enquêtes du Bureau de la concurrence. Un tableau fort intéressant est celui de l’évolution des parts de marché dans l’abattage en page 18 : si l’on additionne les parts d’Olymel et les parts des entreprises acquises par Olymel depuis 2004, l’on passe de 81% à 70%, une analyse plus poussée de ce fait aurait été intéressante.
L’étude donne beaucoup de place à l’ASRA, elle en est d’ailleurs très critique. Elle rappelle que l’ASRA visait originalement trois objectifs :
- Stabiliser le revenu des producteurs des risques d’un marché spécifique par une assurance;
- Assurer la parité entre le revenu de l’exploitant agricole et celui du travailleur spécialisé;
- Assurer le rendement optimal des ressources publiques investies (efficience).
Le constat est que « le modèle de l’ASRA ne répond plus tout à fait aux besoins de la ferme type, comme c’était le cas auparavant ». L’étude mentionne aussi que « les rabais consentis par les Éleveurs de porcs en 2022 et les paramètres de détermination de la nouvelle convention de mise en marché (2023) favorables aux abattoirs expliquent la majorité des compensations ASRA des années 2022 et 2023 ».
Questionnement sur les fonds publics dédiés au porc
De plus l’utilisation de fonds publics pour soutenir une production d’exportation est questionnée dans le rapport, notamment notre trop grande dépendance aux marchés internationaux, le Canada étant un grand exportateur de porc.
Cette exportation semble se faire grâce à des prix bas, le tableau de la page 60 est assez éloquent, les prix moyens en 2023 pour le porc ($/100kg) au Québec est de 188 dollars, 174 pour le Brésil, 199 pour l’Ontario, 234 pour l’Iowa/Minnesota, 254 pour le Danemark et 329 pour l’Allemagne.
Des subventions pour vendre au rabais?
C’est à se demander si nos subventions ne servent qu’à vendre sur le marché mondial une commodité, de la viande de porc le moins cher possible, un choix plutôt contestable compte tenu de la qualité confirmée de notre porc. Il est à noter que l’ASRA a soutenu l’industrie 11 années sur les 14 dernières années.
Dans un contexte où il y a de plus en plus une déconnexion entre le prix des grains et le prix des viandes qui ne suit pas, entraînant une hausse des coûts de production, doit-on remettre en question notre façon d’exporter notre porc?
Le rapport donne une série d’axes de réflexion au MAPAQ :
- Pour orienter la filière, le MAPAQ doit d’abord se questionner sur le type de fermes qu’il souhaite privilégier
- Définir une vision partagée de l’avenir de la filière
- Favoriser la compétitivité de la filière à long terme
- Réviser le modèle actuel de l’ASRA
- Maximiser la valeur ajoutée obtenue pour chaque porc produit
Pourquoi supporter une industrie hors de contrôle?
À la lecture de ce rapport, ces axes de réflexions sont plus que justifiés, il est à espérer que le gouvernement y donne suite, c’est l’avenir de la production porcine du Québec qui est en jeu. L’état ne pourra indéfiniment supporter monétairement une industrie hors de contrôle sans vision claire, qui absorbe une partie de plus en plus grande (voir la plus grande) du soutien à l’agriculture. Notre agriculture qui nourrit les gens d’ici a aussi besoin de soutien, soutien qui est de plus en plus monopolisé à exporter des porcs de commodité.