Avec la récente victoire de Donald Trump, les journaux parlent de “la fin de la démocratie,” ce qui pousse de nombreux Canadiens à se demander ce que les quatre prochaines années nous réservent. Certes, les États-Unis viennent d’élire leur premier président avec un casier judiciaire, et son style est plus qu’épuisant. Mais pour ceux d’entre nous qui s’inquiètent pour le secteur agroalimentaire canadien, la sécurité alimentaire, la gestion de l’offre et le bien-être de nos agriculteurs, la réalité n’est peut-être pas si sombre et repose davantage sur des faits.
D’abord, examinons l’inflation alimentaire pendant le premier mandat de Trump. En 2016, lors de son élection, le climat politique était également tendu, avec des discussions sur les tarifs douaniers, les renégociations d’accords commerciaux et les politiques centrées sur les États-Unis. Quand Trump est arrivé au pouvoir, l’inflation alimentaire aux États-Unis était à -4 %, ce qui peut sembler avantageux pour les consommateurs, mais une inflation négative dans le secteur alimentaire décourage souvent les investissements et freine l’innovation. Bien que l’inflation alimentaire ait atteint 4 % durant le premier mandat de Trump, elle est restée gérable, oscillant entre 1,5 % et 2,5 %. Malgré les craintes, aucun tarif n’a affecté la chaîne d’approvisionnement alimentaire du Canada.
Puis est venu l’Accord États-Unis-Mexique-Canada (AEUMC), le principal accord commercial de Trump, ratifié en 2020, sa dernière année en poste. Cet accord a fait bondir les exportations agroalimentaires du Canada vers les États-Unis, augmentant de presque 57 % depuis 2020 pour atteindre près de 60 milliards de dollars l’an dernier. Sous l’administration Obama, environ 48 % de nos exportations agroalimentaires allaient aux États-Unis; aujourd’hui, presque 60 % sont destinées au sud. Cette dépendance vis-à-vis des États-Unis est à la fois une bénédiction et une faiblesse: notre secteur agroalimentaire profite du vaste marché américain, mais l’économie canadienne devient plus vulnérable aux changements de politique américaine. Trump, avec son approche “America First,” est bien conscient de cette dynamique.
Les politiques de Trump ont rapproché le Canada des États-Unis sur le plan commercial, en particulier dans le secteur agroalimentaire. De plus, Trump a réussi à pousser le Canada à faire des concessions sur la gestion de l’offre, permettant un accès accru au marché canadien pour des produits américains comme les produits laitiers.
Récemment, le Sénat canadien a critiqué le projet de loi C-282, qui aurait protégé les secteurs sous gestion de l’offre, comme les œufs, la volaille et les produits laitiers, dans les futurs accords commerciaux. Si ce projet de loi était adopté, la gestion de l’offre pourrait devenir une cible encore plus importante pour Trump. Très mauvaise stratégie. Avec une loi aussi narcissique pour le Canada et notre forte dépendance envers les Américains, Trump exigera qu’Ottawa abolisse la loi tout simplement et lui donnera une excuse pour taper encore plus sur la gestion de l’offre.
Mais soyons clairs : sous un second mandat, il est probable que davantage d’accès au marché sera accordé aux producteurs américains, et les contribuables canadiens devront encore plus subventionner ces secteurs. Bien que l’Union des producteurs agricoles présente ces paiements comme des “compensations” pour des pertes hypothétiques, la réalité est que ce sont des subventions provoquées par des ajustements de quotas, tout simplement.
Cependant, le vrai défi réside dans notre capacité à maintenir la compétitivité du secteur agroalimentaire canadien. Le programme Trump 2.0 promet de réduire les coûts de l’énergie, de simplifier la réglementation, de diminuer les taxes et d’apporter un soutien financier supplémentaire par le biais d’un Farm Bill colossal de près de 2 trillions de dollars. Depuis 2019, les prix alimentaires de gros au Canada ont augmenté près de 40 % plus rapidement qu’aux États-Unis, mettant les producteurs agroalimentaires canadiens en net désavantage. Si Ottawa ne prend pas de mesures immédiates pour améliorer la compétitivité, les épiciers canadiens pourraient se tourner de plus en plus vers des importations américaines moins chères pour contrôler les prix.
Au final, bien que le retour de Trump puisse amener des changements, les Canadiens devraient se concentrer sur les actions — ou l’inaction — d’Ottawa pour soutenir notre secteur agroalimentaire.
La réélection de Trump ne signifie pas la fin du monde, et toute incertitude peut être équilibrée en regardant les données. La vraie inquiétude n’est pas à Washington, mais dans l’engagement de notre propre gouvernement à assurer la santé du secteur agroalimentaire canadien.