Il ne faut pas plus d’argent mais plus de courage

Pour corriger les nombreuses dérives de notre agriculture qui, à terme, menacent notre sécurité alimentaire, il ne faut pas plus d’argent mais plus de courage.

C’est là le message essentiel du livre coup de poing « Notre agriculture à la dérive » publié chez Leméac, co-écrit par trois auteurs membres de l’Institut Jean Garon (IJG), Mme Suzanne Dion, M. Guy Debailleul et M. Michel Saint-Pierre. La préface est signée par M. Marc Séguin, artiste et auteur connu, directeur de la nouvelle collection Territoires chez Leméac.

Le constat est sévère : la façon dont nous soutenons et gouvernons notre agriculture depuis cinquante ans a des effets pervers sur notre capacité à nous nourrir, le tissu social des régions, la fertilité de nos sols et la qualité de notre environnement.  Si un changement de cap majeur n’est pas effectué, notre agriculture dérivera lentement mais sûrement vers une impasse aux conséquences dramatiques.

Pourtant, rappellent les auteurs, ce n’est pas l’argent qui manque, nous consacrons collectivement plus de millions à soutenir notre agriculture que partout ailleurs au Canada, mais le simple courage de remettre en question un modèle figé dans le temps qui génère toujours plus d’inégalité entre les régions et les filières de production, limite notre capacité à nous nourrir nous-mêmes et laisse d’immenses superficies de notre petit territoire agricole inutilisées, sous-utilisés ou mal utilisées.

Les auteurs pointent du doigt des réalités particulièrement dérangeantes :

Notre agriculture pourrait nous nourrir mais ne le fait pas

En théorie, notre territoire agricole, plus petit par habitant que partout ailleurs en Amérique du Nord, peut fournir aux Québécois deux à deux fois et demie la quantité de calories qui leur est nécessaire. Cependant, l’agriculture québécoise ne répond qu’à environ 40% des besoins de ses habitants, donnée qui ne bouge pas depuis 50 ans. Pour expliquer la situation, une statistique : 70% des meilleures terres du Québec produisent du maïs-grain et du soya qui servent à nourrir des porcs que l’on exporte en grande partie.

Le soutien financier du Québec à son agriculture est inéquitable et inefficace

Les sommes consenties par le gouvernement du Québec pour soutenir l’agriculture sont en très grande partie dépensées dans le programme ASRA, l’Assurance stabilisation des revenus agricoles, programme qui a favorisé indument les régions centrales et engendré depuis plus de 40 ans des effets pervers : soutien à une agriculture mondialisée, utilisation des meilleurs terres pour le maïs-grain/soja, insensibilité des agriculteurs envers les signaux du marché, choix de cultures ne tenant pas compte des conditions agronomiques et écologiques, diminution des budgets consacrés au conseil et à la recherche, croissance de l’endettement et du prix des terres, etc.

Les changements nécessaires sont bloqués par l’UPA

Plusieurs alarmes ont retenti depuis les dernières décennies dont celle lancée par le Rapport de la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois (Rapport Pronovost) pour faire évoluer le mode de soutien financier à l’agriculture, unique au Québec. Cependant, ce dernier correspond au modèle d’affaires de la puissante UPA qui en tire de juteux revenus corporatifs par le contrôle qu’elle exerce sur la mise en marché. Son pouvoir la positionne comme co-gestionnaire de l’agriculture québécoise. La diversification de l’agriculture québécoise et la contribution de toutes les régions à notre alimentation en sont ainsi bloquées.

Appel aux changements

Malgré ce blocage institutionnel, des changements sont possibles et souhaités par les Québécois, dont beaucoup d’agriculteurs, estiment les auteurs. Tout un chapitre est consacré à ce qu’il faut faire pour changer la trajectoire : protéger mieux notre territoire agricole, analyser le potentiel des régions et y mettre en place des stratégies soutenues assez longtemps pour atteindre les résultats voulus, assouplir la gestion de l’offre, favoriser d’autres modes d’accès à la terre, soutenir la recherche particulièrement en ce qui concerne les changements climatiques et, surtout, repenser le soutien de l’état!

Pour cela, martèlent les auteurs, le leadership du MAPAQ toujours grugé par l’UPA doit se manifester. « Ce ne sont pas des changements si difficiles à réaliser techniquement : ils demandent cependant beaucoup de courage politique », reconnaissent-ils.

Alors que nos chaînes d’approvisionnement mondialisées sont plus fragiles que jamais, que les pressions sur le territoire agricole s’intensifient sans cesse et qu’on est à la veille du dévoilement d’une nouvelle politique bio alimentaire québécoise, le temps des « petits pas dans la bonne direction » est révolu et il faut résolument « ouvrir les fenêtres de la forteresse agricole sur le vent du changement » comme le préconisait le Rapport Pronovost.

Extraits

« Et face à cette urgence, un silence et une forme de confort ancestral de la part des décideurs : ça marchait avant, alors on fait comme avant. (…) Et si on pouvait faire mieux? Il faudra semer du courage et y croire. C’est ce que ce livre tente de faire. » –Préface de Marc Séguin, éditeur

«Il est temps de définir des orientations et de ne plus réagir aux problèmes en sortant le chéquier pour faire taire les mécontents (…) Nous ne sous-estimons pas le courage que cela exigera, car il faut actualiser des pratiques et des politiques qui datent de cinquante ans et auxquelles tous les intervenants- les favorisés comme les défavorisés- se sont tellement habitués qu’ils n’en imaginent pas d’autres.»- Les auteurs

 

Les auteurs

Guy Debailleul, co-président de l’IJG, est ingénieur-agronome, économiste spécialiste des politiques agricoles et professeur associé à la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval. Il a été associé de près aux travaux de la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois.

Suzanne Dion, membre du CA de l’IJG et géographe, s’est intéressée aux volets sociaux et gestionnaires des milieux agricoles comme conseillère de nombreux organismes et a agi comme secrétaire générale à la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois.

Michel Saint-Pierre, co-président de l’IJG, agronome et administrateur, a été président-directeur général de La Financière agricole et sous-ministre au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ). À ce titre, il a été un des principaux instigateurs de la mise sur pied de la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois.

 

Votre commentaire