Pendant que les consommateurs attendent impatiemment l’arrivée d’une plus grande variété et quantité de fromages européens dans les prochains mois, notre secteur laitier s'interroge sur son avenir. Depuis la ratification de l’Accord de libre-échange avec l’Europe plus tôt cette année, tout le monde se demande à qui Ottawa octroiera d'ici quelques jours le droit d’importer ses fromages d’Europe.
Une Première
C’est la première fois depuis l’existence de la gestion de l’offre au Canada que l’on accommode ouvertement l’importation de produits laitiers dans le cadre d’une entente. Ainsi, des quotas doivent être octroyés à des entreprises pour importer les quelque 18 000 nouvelles tonnes de fromage européen. Le principe de base de la gestion de l’offre consiste à produire ce que l’on consomme, ainsi importer une telle quantité déstabilise un système qui vise à établir l’équilibre entre l’offre et la demande. Depuis l’officialisation de l’entente l’an dernier, plusieurs membres du secteur laitier se demandent à quel point ces nouveaux produits provenant d’Europe compromettront le régime protectionniste. Par contre, notre système de quotas et de tarifs à l’importation gênait déjà le Canada dans sa quête d’un nouvel accord. Il s'agit donc d'une grande victoire pour le Canada, en commençant bien sûr par le secteur laitier lui-même.
Un nombre grandissant de producteurs laitiers réalisent que la gestion de l’offre montre des signes de fatigue. Notre système de quotas de production et de tarifs abusifs qui s’applique aux produits importés se conjugue mal avec nos ambitions à l’international, point. Les producteurs laitiers le savent ; il faut passer à autre chose, une gestion de l’offre 2.0, ni plus ni moins ! Depuis que l’Europe a mis fin à son système en 2015, le Canada demeure fin seul dans le monde industriel à maintenir un tel système.
L’entente avec l’Europe représente en quelque sorte une invitation au changement, un début de réforme. Mais certaines entreprises subiront les contrecoups de l’accord, plus que d’autres. Les grands transformateurs comme Saputo et Agropur, quant à eux, possèdent l’ensemble du marché pour demeurer compétitifs, peu importe ce qui arrive. Les distributeurs tels que Loblaw-Provigo, Métro et Sobeys-IGA voudront davantage de choix, un meilleur levier au comptoir laitier. Mais ils survivront.
Nos Artisans-Fromagers
Par contre, nos artisans-fromagers, ces entreprises familiales qui ont développé un savoir-faire inouï au cours des dernières années, écoperont. Les fromages fins d’Europe ne leur donneront aucune chance. Or, Ottawa a un instrument à sa portée qui permettrait aux artisans-fromagers de survivre et de prospérer dans un contexte plus compétitif pour les fromages fins. Il s'agit des quotas à l’importation. Le gouvernement fédéral se doit d’octroyer une bonne partie de ses quotas à ces entreprises afin qu’elles puissent faire de la répartition de risques, contre la gestion de l’offre. Ce sont eux qui innovent et nous offrent des produits recherchés qui dépassent l’imaginaire. La résilience et l’esprit entrepreneurial que les artisans-fromagers ont démontré ces dernières années impressionnent.
Le lait industriel au Canada reste très dispendieux. D’ailleurs, le prix du lait canadien à la ferme représente plus que le double du prix courant actuel. Ce qui explique d'ailleurs pourquoi le fromage au Canada n’est tout simplement pas achetable. La gestion de l’offre incite un bon nombre de fermes laitières à exister, sans devenir plus compétitives. Et bien sûr, nos artisans-fromagers doivent en payer le prix. Et avec les fromages européens, nous risquons de voir plusieurs artisans-fromagers disparaîtrent.
Nul doute, espérons qu’Ottawa gérera la situation avec l’Europe de la bonne façon. La stratégie d'Ottawa doit donner une chance à nos artisans-fromagers.
Sur la photo, Sylvain Charlebois, lors d'une rencontre ces derniers mois avec Jean Pronovost, président de l'Institut Jean-Garon ( dont M.Charlebois est aussi l'un des parrains).