Quand nos épiciers jouent aux météorologues

De L'étable à la table

Nous aimons tous chasser les aubaines, enfin presque tous. Une hausse soudaine des prix alimentaires soulève l’ire des consommateurs et ils accusent souvent les supermarchés de vilains profiteurs, mais à tort dans la plupart des cas. Depuis l’incident du chou-fleur et l’histoire du schème de fixation de prix du pain l’an dernier, la communication des épiciers avec le public a complètement changé.

Bien sûr, commençons par le chou-fleur. Cette histoire de prix exorbitant pour la tête de chou-fleur avait fait le tour du pays en un rien de temps, frappant l’imaginaire. Il y a à peine deux ans, les consommateurs offusqués avaient pris d’assaut les réseaux sociaux afin de critiquer la stratégie de prix des détaillants, perçue à l’époque comme abusive. Pendant quelques semaines, le prix de la tête de chou-fleur oscillait entre 8 ou 9 $ l’unité en hiver, et ce, un peu partout au pays. Les réactions virulentes et bizarres fusaient de toute part. Le mal-aimé du comptoir des fruits et légumes devenait tout à coup la vedette de l’heure. Durant cette campagne médiatique qui a duré quelques semaines, les détaillants tentaient d’expliquer et de justifier les hausses de prix, mais en vain. Le manque de crédibilité aux yeux des consommateurs a sonné l'alarme pour l’industrie. Si les prix augmentent, il y a anguille sous roche, point.

Ensuite, le pain fait parler de lui. Disons que le scandale du prix du pain au mois de décembre dernier n’a pas aidé la cause des détaillants. Même si une seule bannière a avoué son tort jusqu’à maintenant, l’ensemble de l’industrie écope. Les détaillants savent que leur stratégie de prix se fait plus que jamais scruter à la loupe.

Mais depuis le scandale du pain, les dirigeants des grands distributeurs alimentaires s’efforcent de nous avertir des hausses de prix de manière anticipée. Depuis le début de l’année 2018, à neuf reprises, la journée même de la publication de leurs résultats financiers, les dirigeants annonçaient des hausses probables dues à des facteurs incontrôlables, comme l’augmentation du salaire minimum et des tarifs douaniers ou même la fluctuation du dollar canadien. Les trois grands de l’alimentation, Loblaw, Sobeys et Métro ont réagi pas plus tard que la semaine dernière. L’objectif cherche certainement à gérer les attentes et tuer la poule dans l’œuf. Malgré les scandales du passé, les dirigeants des grandes bannières se positionnent comme l’ange gardien des consommateurs. Malgré un taux d’augmentation modeste de 1,6 % au mois d’août, tout porte à croire que l’inflation alimentaire augmentera d’ici les prochains mois. Il sera intéressant de voir si cette tactique fonctionnera.

Ils choisissent cette pratique parce qu’ils n’ont pas le choix. Nous sommes des consommateurs archi-gâtés, avouons-le. À vrai dire, même si nous nous attendions souvent à ce que nos aliments coûtent cher, en se comparant avec d’autres pays, on se rend compte que notre panier d’épicerie demeure extrêmement abordable au Canada. La famille moyenne au Canada dépensera en 2018 environ 11 900 $ pour se nourrir, à la maison et au restaurant. Ce qui représente presque 2,5 % de plus que l’an passé, une augmentation très importante pour certaines familles. L’insécurité alimentaire demeure un phénomène complexe, mais pour la majorité d’entre nous, tout cela est très relatif. Le ménage moyen au Canada consacre 9,1 % de son budget à l’alimentation, tandis qu’en Europe, ce taux excède souvent les 18 %, voire 20 %. Dans certains cas en Asie et au Moyen-Orient, on défonce même ces chiffres.

Le pourcentage canadien demeure l’un des moins élevés au monde. D’ailleurs, le plus bas taux se retrouve aux États-Unis, à 6,4 %. Puisque plusieurs Québécois et Canadiens visitent régulièrement les États-Unis, le comparatif s'établit aisément, mais de manière injuste. Sa population plus nombreuse et ses coûts de distribution beaucoup moins élevés encouragent le marché américain à réagir différemment qu’ici. De plus, la façon de valoriser l’alimentation chez nos voisins du sud se compare difficilement à la nôtre. Ceux qui séjournent pendant quelque temps au sud de la frontière, tout en voulant bien manger, s’en rendent compte.

Mais la réalité nous ramène ailleurs. Se nourrir constitue un besoin essentiel, un droit, et nous consacrons beaucoup de temps à planifier nos emplettes. Faire l’épicerie constitue l’une des tâches les plus détestées des Canadiens, selon un récent sondage. Les détaillants ont donc accepté le fait que les Canadiens croiront toujours que le panier d’épicerie coûte trop cher, peu importe. Alors au lieu de gérer à reculons une campagne médiatique choc, ils se comportent désormais comme les porteurs de mauvaises nouvelles. Et pourquoi pas ? En effet, les détaillants jouent aux météorologues qui annoncent l’arrivée possible d’un ouragan, en souhaitant que la tempête s’estompe avant d’arriver sur les côtes.

Mais informer le public à l’avance ne leur donne pas le droit d’augmenter les prix de façon déraisonnable et irresponsable. Un taux d’inflation alimentaire de 2 % à 3 %, similaire au taux d’inflation générale, semblerait tout à fait justifié.

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