«Les fromagers ne veulent plus faire les frais de la vente de beurre aux fabricants de croissants et autres produits à bas prix». Voici la conclusion d’un document explicatif rédigé par Luc Boivin, PDG de la Fromagerie Boivin à La Baie, qui circule actuellement parmi certains décideurs du secteur laitier.
Ça sonne comme un cri du cœur qui a encore plus d’échos quand on constate la consolidation, qu’il annonce dans son secteur depuis deux ans, se concrétiser avec la vente récemment de la fromagerie Chalifoux à des Français.
La synergie dans le monde du lait fait défaut
Le ministre Lamontagne qui pense que la synergie dans le monde du lait est parfaite selon ce qu’il nous disait lors de son dernier passage à LVATV devra se pencher à nouveau sur le sujet et prendre le vrai pouls de la situation.
Dans ce document Luc Boivin s’interroge : « Pourquoi les fromagers québécois devraient-ils faire les frais de la vente de beurre aux fabricants de croissants ?»
Des circonstances exceptionnelles qui déclenchent tout le temps!
Il détaille ensuite le mécanisme de prix et la transmission de prix imparfaite. Luc Boivin rappelle l’objectif louable de la gestion de l’offre et de la réglementation à la ferme et expose le calcul de la formule nationale d’établissement des prix (FNEP), mais il s’étonne que les circonstances exceptionnelles (dont l’objectif est de permettre à la Commission canadienne du lait de couvrir son mandat d’assurer un revenu équitable aux producteurs de lait efficaces) déclenchent aussi souvent.
Il rappelle que le critère #3 ( écart maximal de + /- 3,5 % entre le prix moyen pondéré des producteurs et le coût de production) a déclenché 5 années sur 6 depuis son implantation.
Dans sa présentation Luc Boivin se demande pourquoi malgré les augmentations de prix toutes les années, le prix moyen de lait à la ferme reste stagnant depuis 10 ans.
L’une des réponses qu’il donne est le grand écart entre du lait acheté dans les classes 1, 2 et 3 entre 80$ et 100 $ l’hectolitre et les classes 4 et 5 entre 25$ et 45 $ l’hectolitre !
L’étau se resserre pour les transformateurs!
En fait on comprend que le transformateur qui fait du beurre, de la poudre et des produits bas de gamme a accès au lait à un prix extrêmement bas, mais que le transformateur qui a besoin du même lait pour du fromage, du yogourt ou de la crème glacée paye beaucoup plus cher sa matière première. Et pour Luc Boivin le grand écart ne pourra plus tenir longtemps. Il l’a souvent dit dans nos émissions La Quotidienne mais là, il considère que l’étau se resserre et durablement.
Chaque classe de lait ne serait pas traitée de la même façon : « Les annonces de prix de la CCL ciblent seulement les classes domestiques (classe 1-3 et les matières grasses en classe 4) alors que le prix des classes spéciales (classe 5 et 7) est fixé en fonction des prix mondiaux», écrit Boivin.
60% de l’augmentation du quota des producteurs en provenance des classes à bas prix!
Il souligne que depuis 2016, 60 % de l’augmentation du quota des producteurs ne provient que des classes à bas prix. Le mécanisme de protection des revenus à la ferme tel qu’opéré par la gestion de l’offre aurait réduit le prix moyen pondéré des producteurs de 8 $ l’hectolitre dans les classes à bas prix ce qui a amené la Commission canadienne du lait à passer des augmentations des classes 1 à 4 pour compenser les pertes!
Un livre blanc salvateur ?
C’est ce que semble démontrer, selon nos sources, un livre blanc qui circule actuellement parmi certains décideurs et qui pourrait être le déclencheur d’un réel débat sur le lait afin d’organiser les changements à venir avant que tout ne se fasse aux dépens de ceux qui produisent les fromages de meilleure qualité au Québec.
Des solutions ?
Dans sa conclusion Luc Boivin avance plusieurs pistes de réflexion: exclure les classes spéciales, abolir les circonstances exceptionnelles, permettre aux producteurs de choisir les marchés à servir, exporter pour contourner les détaillants canadiens, etc.
Le statu quo engendrerait, pour les transformateurs de taille moyenne, d’assumer les augmentations de matière première ce qui ne semble plus être possible dans un avenir proche. Tout ce système a un impact sur la rentabilité et les investissements et entrainera, selon la vision développée par Luc Boivin, une consolidation inéluctable si rien n’est fait.