Le 13 novembre 2014, il y a dix ans Jean Pronovost disait : «L’ASRA, ça ou jeter de l’argent par les fenêtres c’est pareil». Nous republions intégralement une entrevue réalisée alors par La Vie agricole
YP : Vous défendez dans votre mémoire la ferme familiale : “que les fermes familiales continuent d’appartenir à des familles et d’être gérées par elles“. Que pensez-vous du soutien dans le système de l’ASRA aux intégrateurs ? Êtes-vous toujours en faveur d’un système qui remplace l’ASRA par une aide basée sur les revenus, la localisation et les pratiques de la ferme, accessible à toutes les fermes ?
JP : L’ASRA était partie d’une très bonne intention au départ. Il s’agissait de combler la différence entre le cout de production et le prix de vente. Même si le principe économique à la base est discutable. On ne verrait pas un industriel fabriquant des bâtons de hockey demander un complément au gouvernement pour un prix de production inférieur au marché. L’effet pervers de L’ASRA consiste dans le fait que le programme s’applique à certaines productions et pas à d’autres. Il y a aussi une discrimination selon la taille de production et la région où l’on se trouve car toutes les régions ne sont pas faites pour les productions sous ASRA. Les gros battent facilement le modèle, ils se font attribuer un cout de production qui leur permet de recevoir une différence importante de l’État et ça ou jeter de l’argent par les fenêtres c’est pareil (…) Mais ça prend 14 ans pour faire des réformes alors, …
Jean Pronovost ajoute qu’il croit que la vision d’un montant maximal par ferme défendu par Jean Garon avait du sens.
YP : La ferme familiale doit-elle être définie autrement aujourd’hui qu’il y a quelques années. Comment vous vous positionnez face au phénomène qu’on appelle l’accaparement des terres. Doit-on diaboliser les sociétés d’investissement. Une ferme détenue en partie par une société d’investissement et un agriculteur est-ce la solution pour la relève ?
JP : Je suis un de ceux qui aime bien le principe de ferme familiale. La question de l’accaparement des terres n’était pas soulevée lors du rapport que j’ai remis en 2008. Je me suis depuis intéressé à la question. Je reste perplexe encore face à cette querelle, ce débat. Le modèle développé par Partenaires Agricoles on peut le voir dans tous les secteurs de l’activité économique. Dans le secteur industriel, un particulier, une société à capital de risque, la Caisse de dépôt peuvent faire un partenariat avec un opérateur. Ça fait partie de nos mœurs.
YP : Pourquoi ça fait si peur en agriculture ?
JP : Ce modèle là en agriculture soulève des passions. Ce modèle je le trouve assez banal et normal et il a de bons effets dans notre société. C’est un des outils dans la boite à outils. Là où je reste perplexe c’est qu’avant de crier au loup contre les sociétés d’investissements, il faudrait avoir des données, des chiffres. J’ai du mal à être sympathique avec ceux qui veulent crier au loup sans avoir cela. J’aime la ferme familiale mais ce n’est pas un absolu. Nous avions identifié dans le rapport qu’on avait besoin, oui des fermes artisanales pour des produits de niche mais aussi besoin de stimuler l’exportation et la création de richesse d’où le besoin de grandes fermes industrielles pour les denrées de base. Ce n’est pas vrai qu’on va nourrir le Québec avec juste des fermes artisanales.
YP : Votre réaction au projet de création d’une SADAQ ?
JP : Il y en a qui veulent garder le modèle traditionnel et qui disent que les fonds veulent faire de la spéculation et mais quand on dit accaparement, on veut se prémunir contre quoi ? On refuserait que des particuliers du monde agricole ou non participent au développement des fermes mais au nom de quoi ? Et au nom de quoi, on interdirait un agriculteur de faire affaire avec une société de capital de risque ? J’ai vu en France l’équivalent des SADAQ, les SAFER et on trouvait cela surprenant à l’époque. Au final la majorité des terres là-bas sont louées. Est-ce que c’est cela qu’on veut pour le Québec ? Un jeune aura moins le goût d’investir sur une terre louée que sur une terre lui appartenant ! Avec la SADAQ est-ce qu’on veut donner le pouvoir à une société publique de dire qui peut vendre à qui et à quelles conditions ? Attention les terres ici sont propriétés de familles agricoles, est-ce qu’on veut leur imposer de vendre ça à des conditions qu’on va imposer aux agriculteurs ? Au nom de la ferme familiale ? Est-ce qu’on veut ça ? On pourrait se demander qui accapare quoi ? Je pense qu’il y a plusieurs modèles possibles et que l’achat de terres par des fonds ne se répandra pas comme une trainée de poudre !
YP : La question de l’accréditation syndicale unique a souvent été soulevée comme enjeu par les opposants au «monopole» de l’Union des producteurs agricoles (UPA). La commission Pronovost recommandait de reconnaître de nouvelles associations professionnelles et d’offrir un choix aux agriculteurs. La question de l’accréditation syndicale unique est remise aujourd’hui en question toujours par L’Union Paysanne mais aussi le Conseil des entrepreneurs agricoles (CEA). Êtes –vous toujours en faveur du pluralisme ? Pourquoi ? Et comment ça marcherait pour les plans conjoints ?
JP : Oui, il faut ouvrir au pluralisme syndical pour les mêmes raisons qu’en 2008. Cela touche à nos valeurs, partout ailleurs existe le droit d’association mais aussi pour un argument pratique : un syndicat qui appartient à ses membres doit permettre à ses membres de s’en dissocier sinon la seule prise qu’il semble avoir c’est la cotisation et vous ne maitrisez pas votre organisation. Mais aussi parce que les québécois ne connaissent pas grand- chose à l’agriculture que ce soit en lien avec la gestion de l’offre ou la mise en marché. Et lorsqu’il y a un seul syndicat des sujets qui touchent aussi les consommateurs ne sont discutés qu’entre producteurs.
YP : Alors pourquoi après le dépôt il y a 8 ans de votre rapport, rien n’a bougé ?
JP : Les gouvernements se sentent coincés. Ils ne disent jamais clairement s’ils sont pour ou contre le monopole. Ils ont tous tergiversés. J’étais bien surpris de voir M. Garon ouvrir la porte au pluralisme mais il n’était plus au pouvoir. Regardez Québec Solidaire, ils sont pourtant les plus socialisants de notre société et pour eux ça va de soi que ça prend plus d’un syndicat agricole. Et il faut dire aussi que le syndicat actuel reste une force non négligeable. Si je regarde ailleurs en France et en Ontario, on peut penser qu’il émergerait un syndicat concurrent au syndicat dominant. L’UPA resterait le syndicat dominant parce que l’UPA a les structures et l’argent. Mais je pense qu’il y aura un jour deux syndicats, et que le deuxième qui pourrait naitre de la fusion de diverses organisations de représentation pourrait aller chercher 15 % de la représentation. À moins qu’on aille dans l’autre extrême et qu’on crée une pléthore de syndicats, ce que je ne prônerais pas, ça serait le bordel. Pour les plans conjoints il suffira d’échanger en fonction des secteurs représentés avec chacun des syndicats